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~~ Au fil du Verre d'Eau ~~
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4 janvier 2009

« Que peut la philosophie face à l'insoluble question du mal ? »

d'après le reportage [Travail n°5] :   François Brasseur  -Institut de Journalisme, 17/11/08.
Les « cafés-philo » sont apparus en 1998, presque par hasard. Imaginés par un philosophe français, ils répondent à l'idée de « faire descendre la philosophie dans la rue ». Depuis lors, le concept a fait des émules. Comme au Verre d'Eau, à Bruxelles, où s'organise chaque samedi un café-philo, ouvert à tous.
Assis à une table au fond du café, un couple de retraités discute à voix basse. « Eux sont venus pour écouter, ils n'interviennent quasi jamais », explique Patricia. « Certains viennent ici pour trouver une réponse à leurs questions. Moi j'en ressors avec plus de questions qu'en arrivant. » L'ambiance est feutrée, l'assistance clairsemée. Les participants rentrent au compte-gouttes. Des petits groupes se forment et se fondent dans le décor. On discute lecture, voyages, philo aussi. 
Stéphane, l'animateur, n'est pas philosophe de formation, mais il participe depuis 2000 aux cafés-philo du Verre d'Eau. Il a repris l'activité depuis deux ans. Avec quel objectif ? « Pas pour apprendre la philosophie. Pour ça, autant suivre des cours ou assister à une conférence. L'idée en venant ici, c'est d'améliorer sa vision du monde, en apprenant des autres, en comprenant leur point de vue et, si possible, en leur apportant quelque chose. »
« Bien, il est temps de commencer. 
J'espère que vous avez un bon thème à proposer ! »
Le groupe, une petite dizaine de personnes, se réunit dans une grande salle à l'étage. Des tables en bois vernis sont disposées en carré près de la fenêtre. La lumière est tamisée. Le modérateur s'installe face à la petite assemblée. Le thème de la soirée – « Que peut la philosophie face à l'insoluble question du mal ? » - est choisi par un vote à main levée.
Françoise, initiatrice de la proposition, développe son idée : « Le mal, c'est ce qui me ferait mal... La philosophie est un peu sèche, intello... Que peut-elle face à cette question ? » Elle hésite un peu. « L'abbé Pierre, Mère Teresa : ces personnes-là n'étaient pas guidées par la philosophie, je crois, mais par l'empathie. La raison est-elle suffisante pour s'attaquer à la misère ? Les mots sont impuissants ! »
« Quand je vois ça, je n'ai pas le droit de me plaindre »
Le débat s'articule bientôt autour de la notion du « mal » et de la volonté ou non d'agir. Deux camps se dessinent. D'un côté, les défenseurs d'une philosophie détachée des valeurs, des sentiments. La philosophie vue comme une discipline de « raisonnement logique », non pas comme un vecteur d'action. Face à eux, Françoise martèle ses arguments, défend l'idée d'une « conscience éclairée ». « La philosophie nous apprend à raisonner, à nous forger une conscience de ce qui est mal, de ce qui génère de la souffrance chez les autres. » Elle évoque un reportage vu à la télé : une jeune femme au Guatemala, mère de trois enfants, travaillant 12 heures par jour et gagnant 200 euros par mois. « Elle reste philosophe par rapport à sa condition. Quand je vois ça, je n'ai pas le droit de me plaindre. Elle me force à agir. (...) Il manque quelque chose de mystérieux dans la philosophie pour donner envie d'agir : ce sentiment d'être comme l'autre. » 
Eric, lui, s'insurge contre cette « dérive » émotionnelle dans le débat : « Faire de la philosophie, c'est développer sa réflexion. Certains se permettent de poser un jugement de valeur, méfiez-vous de ça ! » Et réagissant à l'exemple donné par Françoise : « Elle réagit par rapport à ce qu'elle ressent. Mais il y a des tas d'autres réactions possibles, chacun en fonction de ses propres critères moraux. Ca n'a rien à voir avec la philosophie ! » 
Françoise poursuit néanmoins sur son idée. Elle revient sur l'expérience de Milgram (chercheur américain ayant réalisé, en 1963, une expérience scientifique sur la soumission à l'autorité : des sujets, sous la direction d'un scientifique, interrogeaient des cobayes humains et devaient leur administrer une décharge électrique, d'une intensité de plus en plus forte, à chaque mauvaise réponse de leur part.) et la soumission à l'autorité : 
« La question du mal se pose de la façon suivante : est-ce que je vais plus loin ou pas (face à la souffrance infligée au sujet de l'expérience) ? Certains ont leur libre arbitre, arrivent à s'opposer [à l'autorité]. »
« Les autres ont continué l'expérience car ils avaient confiance dans l'autorité », corrige l'animateur.
« Développer une conscience éclairée »
« Que manque-t-il à la philosophie ? Elle ne parle pas des émotions, des sentiments, ni de persuasion », conclut Stéphane. Mais le mot de la fin revient à l'initiatrice du débat : « L'éducation nous inculque une bonne ou une mauvaise conscience : non ! Elle doit nous aider à développer une conscience éclairée. » A l'image de l'abbé Pierre ou de Mère Teresa, cqfd. Le débat philosophique en restera là, prélude (ou prétexte ?) à une soirée entre amis. Qui se prolongera, tard dans la nuit.

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